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FAUX SAVOIRS, DECOLONISATION ET ILLUSION SAVANTE DANS L'EPISTEMOLOGIE AFRICAINE CONTEMPORAINE: UNE LECTURE COAFRWOLOGIQUE.

MPEKE-NTONGA FONDATEUR DE LA COAFRWOLOGIE (2025)
MPEKE-NTONGA FONDATEUR DE LA COAFRWOLOGIE (2025)

Faux savoirs, décolonisation et illusion savante dans l’épistémologie africaine contemporaine : une lecture Coafrwologique


Mpékè-Ntonga Métila Me Nyodi Alphonse MpekeFondateur de la CoafrwologieDirecteur de l’IEMAC-ICAWS-Institut des Études du Monde Africain Contemporain (Ce 23/09/2025, Enniscorthy)

 

L’une des apories majeures de l’épistémologie africaine contemporaine réside dans l’accumulation et la circulation de faux savoirs, présentés comme vérités révélées mais relevant, en réalité, d’une insignifiance critique. Ce phénomène, loin d’être marginal, prend de l’ampleur à travers les réseaux sociaux, qui fonctionnent comme chambre d’écho et multiplicateur d’illusions épistémiques. De nombreux intellectuels africains, pourtant hautement diplômés et auréolés d’une reconnaissance académique, s’y adonnent à des discours qui, au lieu de nourrir la pensée critique, reconduisent des schèmes de croyances, d’opinions ou de dogmatismes rhétoriques.


Dans cette dynamique, la perspective Coafrwologique permet de relire cette situation comme une crise de la médiation des savoirs dans l’espace africain. Elle révèle un double paradoxe : d’un côté, la volonté légitime de réhabiliter des savoirs endogènes longtemps marginalisés par l’histoire coloniale ; de l’autre, la tendance à essentialiser et absolutiser certains fragments de tradition ou de modernité, sans les soumettre à une véritable herméneutique critique. Paulin Hountondji avait déjà mis en garde contre cette dérive dans sa critique de l’ethnophilosophie (Hountondji, 1977), où la pensée africaine se réduit à des slogans culturels plus qu’à une interrogation rationnelle. De même, Valentin Mudimbe, dans L’invention de l’Afrique (Mudimbe, 1988), souligne que l’Afrique pense souvent à travers des catégories qui lui ont été imposées, et qu’il s’agit de les déconstruire pour produire une épistémologie réellement libératrice.


Un autre exemple révélateur est celui d’un courant occidentalisé de la philosophie africaine, qui s’est développé à partir des années 1960. Soucieux de prouver que l’Afrique pouvait "philosopher" selon les standards académiques hérités de la Grèce et de l’Europe moderne, ce courant a multiplié les efforts pour transcrire la pensée africaine dans des cadres logiques et conceptuels étrangers. Si cette démarche a permis une reconnaissance institutionnelle, elle a aussi contribué à un appauvrissement : au lieu de nourrir une création philosophique propre, elle a souvent reconduit une dépendance intellectuelle subtile. En cherchant la validation extérieure, elle a produit une illusion savante où la rhétorique de l’érudition se substitue à la fécondité d’une pensée enracinée. Cet occidentalisme, en croyant "sauver" la philosophie africaine, participe paradoxalement à un auto-épistémicide (De Sousa Santos, 2014).


À cela s’ajoute un autre obstacle majeur : le journalisme colonial africain. Héritier direct de l’appareil médiatique mis en place par les puissances coloniales, il a fonctionné comme un instrument de domination épistémique (Ngugi wa Thiong’o, 1986). Il ne s’agissait pas d’informer dans une perspective d’émancipation des peuples africains, mais de maintenir un ordre narratif où l’Africain restait objet et rarement sujet de l’histoire. Même après les indépendances, une grande partie du journalisme est demeurée arrimée à des logiques d’occidentalisation de l’information, reproduisant les clichés coloniaux, hiérarchisant les sources de savoir, et disqualifiant la pensée critique africaine au profit d’un mimétisme médiatique. Ce journalisme peut être interprété comme une pierre dans les souliers du développement épistémologique africain : au lieu d’accompagner la renaissance intellectuelle, il a souvent renforcé l’épistémicide généralisé (De Sousa Santos, 2014), marginalisant les perspectives endogènes et accentuant la fragilité de la pensée africaine contemporaine.


Cette situation trouve un écho particulier dans les analyses d’Eboussi Boulaga, qui, dans La crise du Muntu (1977), a mis en lumière la dimension existentielle de la crise africaine. Pour lui, la véritable difficulté réside dans le fait que le Muntu — l’être africain — ne parvient plus à se définir autrement qu’à travers le regard et les catégories de l’Autre. Ce déficit de définition autonome engendre une crise du savoir, puisque penser par le prisme de l’Autre revient à nier sa propre capacité créatrice. Eboussi Boulaga (1977) avertit aussi du danger d’un double piège : soit le mimétisme occidental, qui conduit à une dépendance stérile ; soit le repli sur une tradition essentialisée, qui enferme le Muntu dans une identité figée. Dans les deux cas, l’Afrique se condamne à l’impasse. La Coafrwologie prolonge cette analyse en proposant une voie de réconciliation : restaurer le Muntu dans sa dimension critique, vibratoire et créatrice, afin qu’il redevienne sujet de son savoir et acteur de son devenir.


C’est ici qu’apparaît l’exigence d’une véritable décolonisation de la philosophie africaine. Une philosophie restée prisonnière des cadres occidentalisés engendre une série de dérives : fausses perceptions de l’histoire africaine, fausses réflexions sur les savoirs endogènes, fausses compréhensions des réalités socioculturelles, et fausses conceptions de l’avenir du continent. Ces erreurs de perspective conduisent inévitablement à la production de fausses connaissances et, par ricochet, à de fausses réalisations politiques, économiques ou éducatives (Wiredu, 1996). En d’autres termes, l’absence de décolonisation épistémologique ne produit pas seulement des illusions académiques : elle affecte concrètement la vie collective africaine.


D’où le nécessaire questionnement sur la production littéraire philosophique des récentes années. Si l’on observe de près les publications, colloques et manuels en circulation, on y décèle encore de fortes traces d’un occidentalisme académique qui valorise davantage l’imitation que la création (Appiah, 1992 ; Gyekye, 1997). De nombreux travaux, malgré leur érudition, reconduisent ainsi des schèmes hérités du colonialisme intellectuel, au détriment d’une authentique exploration des savoirs africains. Cette situation appelle un élan Coafrwologique, c’est-à-dire une adaptation méthodologique et critique capable de reconfigurer la philosophie africaine contemporaine. L’enjeu n’est pas seulement de produire davantage de textes, mais de produire autrement : penser à partir de l’Afrique, dans un dialogue critique avec le monde, afin d’éviter que la littérature philosophique ne devienne un simple miroir déformant de la réalité africaine.

Les débats et émissions télévisées, relayés massivement sur YouTube, Facebook ou TikTok, amplifient ce phénomène. Conçus davantage comme spectacles que comme lieux d’élaboration critique, ils se réduisent souvent à des joutes oratoires où la rhétorique l’emporte sur l’argumentation. Le fragment vidéo, détaché de son contexte, devient alors un argument d’autorité : on cite un professeur ou un "penseur" non pas pour éprouver ses thèses, mais pour légitimer des postures identitaires ou idéologiques. Dans ce processus, la viralité supplante la validité, et la profondeur du savoir est remplacée par la performativité du discours.


Or, une épistémologie Coafrwologique appelle à une vigilance critique. Elle ne vise ni à rejeter les traditions africaines comme insignifiantes, ni à s’aliéner dans un scientisme importé, mais à opérer une convergence créatrice entre savoirs endogènes et savoirs modernes. Elle propose une voie médiane où l’Afrique n’imite pas, mais pense par et pour elle-même. Dans cette perspective, il ne s’agit plus de tendre vers une universalité abstraite — souvent synonyme d’hégémonie occidentale — mais vers une pluriversalité, où les rationalités africaines participent pleinement à un monde des savoirs polyphonique et dialogique, en résonance avec d’autres cultures épistémiques (Mudimbe, 1994 ; De Sousa Santos, 2014). L’avenir de l’épistémologie africaine dépendra de cette capacité à déjouer les pièges de l’illusion savante et à reconstruire, dans un dialogue endogène et ouvert, une pensée réellement émancipatrice.


Bibliographie indicative

  • Appiah, K. A. (1992). In My Father’s House: Africa in the Philosophy of Culture. New York : Oxford University Press.

  • De Sousa Santos, B. (2014). Epistemologies of the South: Justice against Epistemicide. Boulder : Paradigm Publishers.

  • Eboussi Boulaga, F. (1977). La crise du Muntu. Paris : Présence Africaine.

  • Gyekye, K. (1997). Tradition and Modernity: Philosophical Reflections on the African Experience. Oxford : Oxford University Press.

  • Hountondji, P. (1977). Sur la “philosophie africaine”. Paris : Maspero.

  • Hountondji, P. (1994). Savoirs endogènes : pistes pour une recherche. Dakar : CODESRIA.

  • Mpékè-Ntonga, M. (2024). ECAAD: The Existential Condition of Africans and African Descendants in the World – A Coafrwologic Perspective. London: AM publishings.

  • Mpékè-Ntonga, M. (2007-2025). Coafrwology. A new panafrican Science.. London: AM publishings.

  • Mudimbe, V.-Y. (1988). L’invention de l’Afrique : Gnose, philosophie et ordre de la connaissance. Paris : Seuil.

  • Mudimbe, V.-Y. (1994). The Idea of Africa. Bloomington : Indiana University Press.

  • Ngugi wa Thiong’o (1986). Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature. London : James Currey.

  • Wiredu, K. (1996). Cultural Universals and Particulars: An African Perspective. Bloomington : Indiana University Press.

 
 
 

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